vendredi 6 avril 2012

L'enfant papillon


Plusieurs années déjà sont passées sur mes promesses, de grandioses ambitions dans un petit corps. Les images et les mots sont venus recouvrir cet élan d'espoir éternel d'une silhouette moribonde et frêle; comme les feuilles d'automnes recouvrent le lac abandonné aux lisières d'une forêt profonde.
Les joues se sont desséchées, la langue pas. La langue pas.
Tant de nuits enceintes de jours mort-nés. Tant de fragments de mon âme, de mon cœur, cette jeunesse qui me file entre les doigts comme le sable fin, recouverte de poussière, tous battants de leurs ailes, enterrés par le vent.
Toujours j’eus dégout pour cette espèce nommée adultes. Enfant, le monde m'était palpable au-delà de ce petit corps. Je n'avais aucune frontière. J'étais âme libre habillée d'une peau tendre. Me voilà âme ivre prisonnière de ses cendres.
Rubens, Saturne, 1886.
Et je n'ai gardé de libre que mes larmes noires qui valsent sur feuilles blanches entre les barreaux. Je n'ai gardé de libre qu’une séquelle de liberté, des antécédents d'un esprit extraterrestre - enfant j'étais persuadé de l'être - qui a le ciel pour bac à sable, les nuages pour berceau et la lune pour sein d'une mère généreuse.
Qui puis-je haïr maintenant que je suis moi même l'adulte ? L'enfant en moi n'a pas grandit et m'observe, incompris de ses yeux purs; incompris, il me regarde le trahir – et me trahir, nous trahir – et m'éloigner, plus encore chaque heure, chaque jour, chaque automne...
« Qu'est-ce que tu fais? » m'interpelle-t-il.
Je ne réponds pas. Pas que je ne saurais lui répondre – je ne saurai lui répondre – mais je ne l'entends pas, je ne le vois pas.
Mes yeux ouverts enrobés de paupières d'adulte, malade, empoisonné, emprisonné: homme parmi les hommes. Cette fierté qui voile mon mal et le gèle. Je souris encore d'un sourire en forme de plaie. Plaie en forme de ton sourire.
Nous tuons l'enfant.

Et nous éloignons dans la brume de la solitude du traitre. Plein de remords inavoués, de sanglots ineffables. Et demain un autre jour, je n'y penserai plus. Et chaque jour est un autre jour où moi comme le monde nous effritons, spectateurs de notre déchéance. Demain est un autre jour.

Mais le jour, lui, file et se défile. Cette nuit alors je serai ivre. A l'aube je chuchoterai encore promesse sur promesse aux oreilles du vent criard, de nos chuchotements muets. Et demain est un autre jour. Et demain encore.
Et demain.
Jamais plus de demain si ce n'est aujourd'hui.

À l'enfant.
Avril 2012
Chamseddine B.

4 commentaires:

  1. Tu te souviens de l'enfant, tu ne l'as pas [tu ne t'es pas] totalement trahi.

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  2. La Dame D'Outre Nulle-Part21 avril 2012 à 19:02

    «Les joues se sont desséchées, la langue pas. La langue pas.
    Tant de nuits enceintes de jours mort-nés.»
    «J'étais âme libre habillée d'une peau tendre. Me voilà âme ivre prisonnière de ses cendres.»
    «Et je n'ai gardé de libre que mes larmes...»
    «A l'aube je chuchoterai encore promesse sur promesse aux oreilles du vent criard, de nos chuchotements muets.»

    *Des passages qui m'ont particulièrement touchée, une écriture vide de rimes mais très profonde, une lecture pleine d'amertume, de conscience, d'envie d'inconscience ou d'oublie, de souvenir, de regrets, d'espoir, on dirait que l'auteur décrit son reflet sur le miroir de sa conscience, le paradoxe est au rendez-vous et la nuit surtout. J'aime beaucoup.

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  3. Superbe texte, poignant et d'une textuelle fantastique, je reste marqué moi aussi par "Tant de nuits enceintes de jours morts-nés"... phrase de grand ! Malgré le coeur d'enfant force est de constater que l'homme grandit, forcé par son Seigneur d'avancer vers sa fin.

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  4. Nora bint AbdSalâm30 avril 2012 à 13:00

    Par le biais du texte "Distorsions" d'Aboo Mudjaahid, je découvre et me découvre à travers ces mots qui nous heurtent, nous, adultes délestés de cet enfant qui fût nôtre, qui fût nous, abandonné en grandissant, jeté au vent, rongé jusqu'au sang...

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