vendredi 28 septembre 2012

Médusé

Puisque le soleil semble s'être éloigné
La lune rocher sans éclat dans la nuit
Profonde s'effrite dans l'hiver aride
Et gèle mes joues de cendres enneigées

Le noir dégouline visqueux et avide
Pétrifie mon esprit difforme médusé
Grimace ridée d'un cri muet
Prières perfides de larmes asséchées

Hibou sur l'if de briques rouges perché
Mon corps dans la chute embrase
Le ciel que les nuages caressent
Lentement dans l'agonie

Mai 2012
Chamseddine B.

jeudi 21 juin 2012

L'éternel cri




Seul et pensif sur une mer profonde
Pris par les tourments et méandres de l'amour
Qui m'isolent parmi tous, les sentiments m'inondent
Je me vois maudit et banni pour toujours.

Dans la crue lumière j'erre
Et me débats en vain.
A la recherche de repères
L'amour m'enchaîne et m'étreint.

Ô pauvre Âme martyre
Séduite et charmée
Te voilà souffrir
Et à jamais damnée

Pousse un long et dernier soupir
Dans une atroce agonie
L'amour appelle la Mort
Dans un éternel
Cri
À F.
Décembre 2007
Chamseddine B.

mercredi 9 mai 2012

Prisonnier

Je confesse avoir songé tant de fois – aujourd’hui encore, pas beaucoup mais assez pour me laisser apathique - à me lever, sans justification aucune, sans daigner croiser mon regard à personne, et partir : « prendre la route », c’est ce qu’on dit. Ce ne serait pas de la lâcheté puisque jamais je n’aurais plus à subir les bavardages bruyants de ces humains trop humains plantés partout, le marteau acéré du juge à la main, prêts à le faire tomber comme le couperet de la guillotine. Ça ne serait être de la lâcheté puisque je suinte le mépris. Mépris pour ce qui vit, pour ce monde. Le quitter, étranger, dépourvu de tout tison, vide de toute étincelle qui aurait pour projet de le refaçonner. 

Je confesse avoir perpétuellement l’envie de vomir ; et vomir. Et vomir encore. Toujours plus aigre, plus épais, plus visqueux, peut-être aussi haineux – pas trop – juste de quoi avoir cette fichue abnégation qui me vouera à cette solitude inéluctable et irrésistible pour laquelle – après tout, je confesse –  j’œuvre secrètement. 
Certains pensent savoir. Si fiers de leur sagacité ; heureux de dénicher le moindre morceau de peau que je laisserai transparaitre dans chacun de mes mots ; de leur perfidie m’imaginant nu et si faible. Pions dans un échiquier sans but ils ne voient pas les cases. Montgolfières si fiers de leur bouffissure qu’ils oublient que c’est encore moi – souvent, mais pas toujours – qui habille mes pages et que, encore, je mène la danse – plutôt, je mesure la chute – comme un Machiavel sans  prince ni peuple, sans même l’ambition.

Je confesse ne pas beaucoup aimer. Ce n’est pas faute d’avoir essayé ; j’en suis incapable et j’avoue mon impuissance. Mais cela me conforte et me permet de garder l’élongation quand bien même je semble si proche du tourbillon de poussières anonymes qui gravitent, passent et filent autour d’un soleil éteint, froid. Parfois, il m’est arrivé de le confier, avec dédain, certes, mais quelle belle victime je faisais! J’étais beau et triste à voir – quel amusement ! – avec mon dramatisme faussement larmoyant : « je suis comme ça ».  
J’aime le théâtre.

Je confesse n’avoir d’intérêt pour rien; pour pas grand-chose du moins. Tous mes choix sont le résultat de la même équation : le faux-semblant. Un cirque muet, en noir et blanc où, à l’image du miroir, on ne sourit pas. 

Je confesse aimer le chaos et la destruction; me réjouir de l’anarchie des hommes, leur confusion dans la banalité du quotidien, s’efforçant d’accomplir servilement les tâches qui les mènent à leur déchéance autoprogrammée, trahis par le regard hagard cloué sur un visage fantoche. S’indignant, à leur retour auprès de leur progéniture,  du chancre du monde diffusé dans leurs petits écrans; amnésiques de leur ouvrage.

Je confesse me réfugier dans l'ombre et y mimer la folie dans un ultime espoir absurde et naïf de voler. De me défaire, au mieux, de ce corps, cet ancre qui m'enchaîne, ce cercueil que je traine, et errer à la lueur des scintillements lointains dans l'espace lugubre et sans fin où, malgré tout – je le confesse – je suffoque.

Mai 2012
Chamseddine B.

vendredi 6 avril 2012

L'enfant papillon


Plusieurs années déjà sont passées sur mes promesses, de grandioses ambitions dans un petit corps. Les images et les mots sont venus recouvrir cet élan d'espoir éternel d'une silhouette moribonde et frêle; comme les feuilles d'automnes recouvrent le lac abandonné aux lisières d'une forêt profonde.
Les joues se sont desséchées, la langue pas. La langue pas.
Tant de nuits enceintes de jours mort-nés. Tant de fragments de mon âme, de mon cœur, cette jeunesse qui me file entre les doigts comme le sable fin, recouverte de poussière, tous battants de leurs ailes, enterrés par le vent.
Toujours j’eus dégout pour cette espèce nommée adultes. Enfant, le monde m'était palpable au-delà de ce petit corps. Je n'avais aucune frontière. J'étais âme libre habillée d'une peau tendre. Me voilà âme ivre prisonnière de ses cendres.
Rubens, Saturne, 1886.
Et je n'ai gardé de libre que mes larmes noires qui valsent sur feuilles blanches entre les barreaux. Je n'ai gardé de libre qu’une séquelle de liberté, des antécédents d'un esprit extraterrestre - enfant j'étais persuadé de l'être - qui a le ciel pour bac à sable, les nuages pour berceau et la lune pour sein d'une mère généreuse.
Qui puis-je haïr maintenant que je suis moi même l'adulte ? L'enfant en moi n'a pas grandit et m'observe, incompris de ses yeux purs; incompris, il me regarde le trahir – et me trahir, nous trahir – et m'éloigner, plus encore chaque heure, chaque jour, chaque automne...
« Qu'est-ce que tu fais? » m'interpelle-t-il.
Je ne réponds pas. Pas que je ne saurais lui répondre – je ne saurai lui répondre – mais je ne l'entends pas, je ne le vois pas.
Mes yeux ouverts enrobés de paupières d'adulte, malade, empoisonné, emprisonné: homme parmi les hommes. Cette fierté qui voile mon mal et le gèle. Je souris encore d'un sourire en forme de plaie. Plaie en forme de ton sourire.
Nous tuons l'enfant.

Et nous éloignons dans la brume de la solitude du traitre. Plein de remords inavoués, de sanglots ineffables. Et demain un autre jour, je n'y penserai plus. Et chaque jour est un autre jour où moi comme le monde nous effritons, spectateurs de notre déchéance. Demain est un autre jour.

Mais le jour, lui, file et se défile. Cette nuit alors je serai ivre. A l'aube je chuchoterai encore promesse sur promesse aux oreilles du vent criard, de nos chuchotements muets. Et demain est un autre jour. Et demain encore.
Et demain.
Jamais plus de demain si ce n'est aujourd'hui.

À l'enfant.
Avril 2012
Chamseddine B.

dimanche 18 septembre 2011

Je suis le monde

C’est au fur d’une traversée silencieuse que j’ai apprécié mon voyage.
Grégory Colbert
Un désir germait en moi, depuis longtemps déjà. Chaque jour ne faisait qu’accroitre ses branches qui se déployaient comme des bras vers l’infini, en vue de cueillir un fruit insoupçonnable. Et mon voyage était en phase de réaliser ce à quoi j'aspirais: devenir le monde et ne plus en être - quel doux solipsisme! Ne plus jamais employer le « je » ni toutes ses déclinaisons. Étouffer le verbe être et n’exister qu’à travers le tout. Devenir le vent qui traverse les plaines et embrasse les hommes sans trop s’y attarder ni en être happé; la pluie qui balaye la terre comme les larmes pour percevoir les nuances du Tableau et respirer l’air pur; la lune qui éclair les veilleurs à qui on confie ses tiroirs... Ne plus être pour devenir tout. C’est ainsi que l’on devient voyageur céleste; un bateau sans ancre; une lumière dont chaque rayon est l'infinie explosion de toute la matière que contient cet univers. Une conscience qui désintègre chaque iota d'ombre. Sentir chaque vibration à l'autre bout du monde ; sentir chaque battement d'ailes des papillons, chaque bruit des pattes sur de la terre aride. Une conscience, une force transformant l’éphémère en éternel.


Août 2011
Chamseddine B.

mardi 13 septembre 2011

Départ intempestif

Perfect stranger - Hedi Slimen
Fallait-il s’arrêter encore et se tenir immobile, observer ces visages en fonte sous les exhalaisons d’une inconsciente trahison, en esquisser les traits pour toujours dans une mémoire incertaine ? Ils seront le moteur de mon navire.
Jamais un voyageur ne prend le large pour quitter un point; des hommes; une femme. C’est un incessant et terrible appel, un cri de par les montagnes et les mers - et le ciel - auquel il ne fait que répondre. Qu’en est-il alors de cet ultime départ : tourner le visage sans déchirure aucune, sans adieu, et partir pour l’infini, comme toujours ? Une quête; un besoin; une énième réponse au ciel; une cause inconnue, comme les fois précédentes…? Non. Non pas ici; pas cette fois. Une fuite. J’ai aujourd’hui besoin de ces visages pour me rappeler, comprendre lorsque mes yeux seront plongés dans l’horizon incolore, et que le vent poussiéreux du temps viendra couvrir ma mémoire de couches crasses et colorées  – souvenirs d’une vie sans attaches -,  comprendre les raisons de mon départ intempestif. Une grimace apparaitra alors pour la première fois sur ma face glabre de toute expression. Ces visages suintant la trahison seront donc mon passeport.


William Blake (Depp) - Dead Man
J’ai toujours vogué libre, sans mémoire, sans remords, sans haine ni amour. Animé par le seul désir d’ailleurs, d’autres, de vide, du rien et du tout ; l’absolu, en sommes. Mais voilà mes voiles blancs tachetés d’une moisissure humaine que seule l’inimitié pourra purger. Mes voiles seront noirs dans la nuit et elle finira par m’emporter dans ses secrètes profondeurs. Tari, je finirais alors humain, une créature échouée, domiciliée dans son propre tombeau.  Quel destin pour un voyageur étranger…

Fallait-il s’arrêter encore et se tenir immobile et observer ces visages tisonnés de lâches exhalaisons, en esquisser les traits pour toujours dans une mémoire incertaine ?
J'y renonce. Je leur sourirai chez eux, et partirai, albe, pour l’infini.

à Toi
Chamseddine B.

jeudi 21 avril 2011

Fornications délétères

Photo. Jean-Luc Lagarce.
Je vous laisse aux uns et aux autres vos fornications délétères. Mes joies à moi n’étaient pas aussi intenses. Mais elles étaient plus durables. Plus parfaites. Plus destructrices. Prises sur les vôtres soir après soir dans la solitude de mon bureau. Votre décadence m’emplissait de satisfaction. Sur mon carnet l’encre emportait tout. Un déluge qui dépassait l’entendement, certes, mais aussi l’imagination. Je ne contrôlais moi-même pas ce maelström jubilatoire qui se nourrissait de vos maux. Vos craintes. Vos frustrations. Cette haine dépassait son propre maître. Une haine vive, vivante, vivifiante. Une haine destructrice, chaotique, apocalyptique. Une haine qui donnait vie, enfin, à l'improbable, l’irrécusable. Mes mots étaient comme le clairon d’Israphil. Révélateur, dévoilant l’invisible-évident…
C’était chaque soir l’heure des comptes. Mes petits comptes à moi. Mon plume devenait tantôt marteau du juge tantôt fusil du bourreau. Et chacun défilait devant moi. Devant mon sourire, mon petit plaisir…
Elle est là, ma fornication à moi. Pourquoi s’encombrer de carcasse, fontaine de niaiserie, quand on peut connaitre l’excitation parfaite, ultime, suprême… ?
Après chaque jet, j’offrais à ma victime une danse lente dans l’obscurité de mon vêtement. Mes muscles sculptaient hardiment et avec peine un semblant d’harmonie dans un capharnaüm hors du temps. Je n’ai jamais pu accumuler les exécutions, tribunal populaire où je faisais le peuple, le juge, le bourreau. La danse m’épuisait et me jetait à terre. C’était à ce moment là qu’une dysphorie amère et aigüe me gagnait.
Mai 2011
Chamseddine B.

dimanche 10 avril 2011

Inlassable vagabond

Saint-Pétersbourg, Alexander Petrosian.
Je n'ai jamais pu me résigner à la régularité, la monotonie.
Vivre dans un endroit, y rester. Pour toujours sans doute. Peut-être partir quelques jours, quelques mois, mais revenir inexorablement au point de départ. Non je ne peux m'y résigner, ce serait ma mort...

Rien ne me lie à rien. Je suis comme une bouteille à la mer qui, même si elle échouait sur une plage vide, tôt ou tard (tôt le plus souvent), l'eau allait finir par la renvoyer aux immensités et aux profondeurs...
Je confesse avoir tout délaissé de mes entrailles. Je ne suis désormais plus qu'une âme errante, une embarcation de fortune sans voile ni même gouvernail.

Je rencontre des gens. J'aime les connaitre. Je ne leur offre cependant pas la parole. Je me contente seulement de quelques mots. On dit que la bénédiction est dans le peu, dans les longs silences...
Je souris. Plus serait me trahir. Trahir cette symbiose avec l'univers vivant. Je me contente alors du sourire.

Je marche. Je suis en perpétuel mouvement. Je suis comme un rapace qui aurait renoncé à baisser le regard sur terre pour scruter ses proies; renoncé à leur viande, préférant parler avec elles avant de les quitter pour toujours. Un rapace qui se nourrit de nuages, de lui-même (Je suis un soleil qui se consumme sans plus brûler. Un soleil lunaire).  Des mots silencieux que lui murmure le monde. Un rapace dont les longues ailes ne battent plus mais qui continue de voler. Déterminé à guetter les courants d'air pour danser avec eux et découvrir où ils ont décidés de l'enmener...

Je plane. Je plane sans ne jamais me retourner. Les passants ne se retournent pas, ils passent. Je plane sereinement, sans aucun port d'attache. J'erre dans ce vaste monde, immobile.

lundi 4 avril 2011

« Le Jolie Mai » : Ballade dans Paris

 I.
Sommet de la Tour Eiffel.
Bruits de cloches et de sirènes. 

« Est-ce la plus belle ville du monde ?
On voudrait la découvrir à l’aube sans la connaître, sans la doubler d’habitudes et de souvenirs. On voudrait la deviner par les seuls moyens des détectives de roman, la longue vue et le microphone.
Rumeurs urbaines, voix radio.
Paris est cette ville où l’on voudrait arriver sans mémoire, où l’on voudrait revenir après un très long temps pour savoir si les serrures s’ouvrent toujours aux mêmes clés, s’il y a toujours ici le même dosage entre la lumière et la brume, entre l’aridité et la tendresse, s’il y a toujours une chouette qui chante au crépuscule, un chat qui vit dans une île, et si l’on nomme encore par leur nom d’allégorie le Val de Grâce, la Porte Dorée, le Point du Jour… C’est le plus beau décor du monde. Devant lui, huit millions de Parisiens jouent la pièce ou la sifflent, et c’est eux seuls, en fin de compte, qui peuvent nous dire de quoi est fait Paris au mois de Mai ». 

 II.
Longue ballade. Paris, 1962.
Travelling rapide dans les rues.


« Nous avons rencontré des hommes libres. Nous leur avons donné la plus grande place dans ce film, ceux qui sont capables d’interroger, de refuser, d’entreprendre, de réfléchir, ou simplement d’aimer. Ils n’étaient pas sans contradiction, ni même sans erreur, mais ils avançaient avec leurs erreurs, et la vérité n’est peut-être pas le but, elle est peut-être la route. Mais nous en avons croisé d’autres, en grand nombre, sur lesquels le regard du prisonnier s’arrêterait, un peu incrédule, car chez ceux-là, la prison est à l’intérieur.

Succession de visages tristes, préoccupés.
Ces visages que nous croisons tous les jours, faut-il l’espace d’un écran pour qu’apparaisse ce qui sauterait aux trois yeux du Martien fraîchement débarqué ? On a envie de les appeler, de leur dire : qu’est-ce qui ne va pas, visages ? Qu’est-ce qui vous fait peur, que nous ne voyons pas et que vous voyez, comme les chiens ?
Est-ce l’idée que vos plus nobles attitudes sont mortelles ? Les hommes se sont toujours su mortels, ils en ont même tirés des façons inédites de vivre et de chanter. Est-ce parce que la beauté est mortelle, et qu’aimer un être, c’est aimer le passage d’un être ?
Statues de parcs publics.
Les hommes ont inventé la naphtaline de la beauté. Cela s’appelle l’art. C’est quelquefois un peu hiératique dans ses formes, mais c’est quelquefois très beau. 

Tableaux. A nouveau visages fermés.

Alors qu’est-ce que c’est ? Vous-êtes à Paris, capitale d’un pays prospère, au milieu d’un monde qui guérit lentement de ses maladies héréditaires, qu’il prenait pour des bijoux de famille : la misère, la faim, la fatalité, la logique. Vous ouvrez peut-être le deuxième grand aiguillage de l’histoire humaine depuis la découverte du feu. Alors ? Avez-vous peur de Fantômas ? Est-ce, comme on le dit beaucoup, que vous pensez trop à vous? Ou n’est-ce pas plutôt qu’à votre insu vous pensez trop aux autres ? Peut-être sentez-vous confusément que votre sort est lié à celui des autres, que le malheur et le bonheur sont deux sociétés secrètes, si secrètes que vous y êtes affiliés sans le savoir et que, sans l’entendre, vous abritez quelque part cette voix qui dit : tant que la misère existe, vous n’êtes pas riches…, tant que la détresse existe, vous n’êtes pas heureux…, tant que les prisons existent, vous n’êtes pas libres. »

Le Jolie Mai (film-documentaire), Chris Marker, 1963.

jeudi 24 mars 2011

Les étrangers et la pluie sans nuage

Héros de la Tragédie Moderne - Partie 2 
Des voix cacophoniques prêchaient ce fatalisme. Nous renoncions à toute forme de rébellion (et donc à notre liberté). Certains pensaient avoir un esprit rebelle en criant dans des concerts ; en adoptant des vêtements parfois excentriques. Ils ne faisaient qu’étouffer encore plus les principes dont ils se prétendaient porte-paroles. Sans s’en rendre compte, ils étaient le chœur de cette tragédie moderne, et comblaient toujours plus son Paradoxe. Une poignée d’hommes, de femmes, d’enfants ont néanmoins résisté à ce tsunami puisque leur cœur était accroché au-delà des cieux : les étrangers. Ces vivants célestes n’ayant rien perdu de leur authenticité voyaient, savaient.
À peine notre égo flatté, il nous offrait continuellement des carcans ornés de pierres précieuses. Et chacun pensait être l’unique détenteur de cet enviable bijou. C’est ce qui faisait de nous des bêtes individuellement avilis.
Comme une boule de papier froissée prés d'une cheminé toute en flamme, je me consume lentement au rythme des létales crépitements. Bien que possible, la fuite face à ce fatale feu était inenvisageable. Le feu était sublime, obnubilant. La souffrance que causait cette incinération était bel et bien réelle. Néanmoins, je l’oubliais. Lorsque j’étais enivré par les ondulations voluptueuses et anesthésiantes de ces courbes en flammes, j’étais paralysé. Stérile. Il arrivait même de penser que la douleur provoquée par ce feu était partie. C’est dire l’inconscience…

L'homme qui marchait dans le ciel, Jean-Marie Denis
Au fil de notre sevrage, un détail nous interpella.
La matrice de cet âge ne nous nourrissait que d'un sein. Nous ingurgitions un liquide amer et visqueux. Et profane. Il froissait notre âme et la crispait. Mais un jour, alors que nous avalions notre perfide ration, nous vîmes une main, du moins, juste une ombre, cacher étrangement l'autre sein. C'est alors que nous avions compris une chose: bien que le Paradoxe sévisse, bizarrement, il ne créait en nous que la servitude. Ce qui nous semblait insensé puisque nous avions l’impression de porter le fardeau de notre univers, les tourments de toute une ère. La matrice refusait de reconnaitre l’existence de l’autre sein.  Il pouvait nous dévoiler nos propres contradictions et les siennes. Et, delà, éveiller en nous notre singularité. Nous nous mîmes donc à quêter la liberté: elle était partout. Une pluie sans nuage l'avait déversée dans les cavités de ce monde. Il fallait lever l’ancre pour la toucher...
Mes errements dans l’océan de mon âme, sur cette terre mouvante ; mes échanges avec la lune; avec les étrangers dont les pieds voguaient là, quand leur cœur goutait déjà à l’éternité ; tous, ont contribué à ma mort. À travers ce périple mortifère, vivifiant, je délaissais peu à peu les enclumes que mon cœur contenait, les ancres que mes passions m’imposaient. C’est alors que mon âme, auparavant cette feuille racorni, se voyait perdre chaque jour une ride. Elle prenait sa place dans mon corps, mon cœur, mon temps comme l’eau qui pénètre, doucement mais indubitablement, une rivière asséchée.
Ce regard froncé qui caractérisait mon dédain disparaissait peu à peu. Et en réalité, ce regard ne fut que le fruit d’une vue atrophiée à cause du rideau lourd et noir qui m’enrobait. Mon visage, comme celui de mon incommensurable troupeau, tendait vers le bas. Comme si le soleil noir l’avait fait fondre. Mais maintenant que la lumière est là, mon visage crispé laisse timidement les lueurs pénétrer les plis d’années de haine, d’angoisse, d’indifférentialisme.

samedi 19 mars 2011

Dualité du geste



Temptation, Wojciech (Voytek) Nowakowski.
Je ne suis pas un suicidaire, ni un déprimé.
Je ne suis même pas quelqu’un de sombre.
Je ne parle que d’obscurité, de solitude aussi, de cris étouffés par le silence, et de terre, de la terre, pour m’enterrer.
M’enterrer d’abord avec mes mots.
Je me noie dans mes turpitudes, mes souffrances.
Voilà pourquoi je suis mort.
Voilà pour quoi je vais mourir, et mourir, encore ;
et mourir.
Chacun de mes mots est un geste ultime, non dépourvu d’espoir,
Pour sortir la tête de la puanteur dont je m’habille, et qui m’habite
De l’océan sombre dont les algues me happent et m’agrippent comme un piton.
Pour sortir de la terre, humide et froide, et marcher ;
Fier ? peut-être
Chasser l’obscurité, chanter l’espoir…
Plus je me débats plus je suis pris
Plus je me noie

À F.

mercredi 9 mars 2011

Marche funeste


Marcher
Marcher tout le long
Marcher, sans songer à s'arrêter un jour
Aucune alternative marcher
Subir le monde
Subir le poids
Subir cet inextricable inéluctable mouvement qui rythme la hâte du souffle à s'arrêter
Finir
Tout tend à descendre
– retour aux origines –

La nuit recouvre le jour
Personne n'y peut rien
Personne n'y prête attention

Que me reste-t-il à faire ? Mourir
Mourir
Il m’a fallut toute une vie de mort pour arriver à mourir, pour–
vivre
Je vais mourir
C’est ainsi
D’autres sont tout de suite plus perspicaces pas moi
Pas moi
Je ne l’ai pas été j’étais mort
Je vais mourir
et c’est ainsi
Je ne me débats pas
Je suis heureux
Je suis tristement heureux
Vous ne comprenez pas ce qui se dit
– je ne dis rien, mais il y a des mots –
Peut-on comprendre ce que disent les morts ?
Peut-on seulement comprendre les mots qui coulent des yeux ?
Divins miroirs
Reflets d’autres mondes
l’autre Monde

Je semble…
hagard

Il n’en est rien
Il n’en est rien
Je suis conscient

Ma conscience m’occupe tellement que je semble vide
absent
– mort –


mercredi 16 février 2011

Héros de la Tragédie Moderne


 Partie 1
À travers la littérature, à travers l’école, les arts, à travers la culture, nous n’avons connu que la tragédie. Il m’a été rapporté ces histoires d’hommes, de femmes, de jeunes, condamnés par le Destin ; abattus par la Fatalité. L’un aimait une femme qui en aimait un autre.  L’autre qui était condamné à tuer pour aimer la chaire de sa chaire. Il y avait aussi celui qui était prisonnier de ses insatiables passions, de femme en femme. Et puis d'autres encore...
Je me résignais moi-même à vivre leur vie. « À quoi bon lutter ? », me disais-je. J’embrassais alors le paradoxe de mon siècle : mon âme courbée comme si l’univers reposait sur elle. Et mon cœur indifférent. Une indifférence telle que j’élargissais mon pas pour franchir un cadavre, sans daigner le regarder : à quoi bon ? Il est mort. Et s’il ne l’était pas, il ne tardera pas. Et s’il tardait, je le sais, j’en avais la certitude: nous allons tous mourir. Il était donc tout de même mort, malgré lui. C’est ainsi... inéluctable... tragédie. Alors, alors nous jouissions comme aucune créature vivante ne pouvait jouir – non, l’humain n’était plus vivant, il avait tout d’une bête en décomposition, puante, en  putréfaction avant même la fin de son agonie – Jouir, comme un condamné à mort. Jouir, qu’importe comment, qu’importe avec qui, qu’importe avec quoi, qu’importe de penser... Rien n’importe. Nous allions mourir, nous jouissions. Implacable logique de notre indifférentialisme.
Nous avons été façonnés dans une position de fœtus. Après notre naissance, nous sommes restés tels quels, et nous avancions dans cette position, jusqu’au vieillissement où nous étions toujours recroquevillé : c’était la même position, mais les mots sont changés.

Sculpture en papier.
Dans les rues propres, tous étions fantômes. Des condamnés à mort dans le long corridor. Où je vais ? À ma mort certaine. Il y a une chose qu’on redoute alors, la solitude. Parfois face à face, à quelques centimètres les uns des autres, nous étions seuls. Seuls mais toujours accompagnés. C’est à ça que servent les nouvelles technologies, pour rien d’autre, rien; vraiment rien d’autre que nous sentir accompagnés dans notre solitude quand bien même cela intensifiait notre isolement. Certains le savaient, mais que le fatalisme était délicieux. Délicieux, car nous étions Antigone, Œdipe, délicieux car nous étions des héros, des antihéros mais il y a le mot « héros », cette seule partie du mot suffisait à notre égoïsme surdimensionné, cultivé comme un vieux fermier solitaire qui n’a d’yeux que pour ses plantations, à veiller sur elles, là, à leur chuchoter quelques mots, comme à ses femmes, comme à ses enfants. Délicieux, car c’était ça, le « Beau ». Nous étions des grecques. Nous nous appelions, Sisyphe, Médée, Roméo, Oreste.
Livides, accablés, recroquevillés, vides, nous trainions nonchalamment nos carcasses qui ne s’éveillaient que pour permettre la jouissance. Si nous travaillions, c’était pour ensuite jouir. Si nous étudiions, c’était pour apprendre à jouir. Nous étions les ennemies les uns des autres. L'école... L'école. C'était là que tout commençait (ou presque). Comment peut-on expliquer aujourd'hui cette haine que j'ai pour l'école, quand bien même j'étais assoiffé de savoir ? Nous y apprenions déjà le paradoxe. Comment laminer, écraser par milliers, par millions, pour que, en rentrant le soir, laisser sa place à une vieille dame dans le métro. On nous enseignait comment parfaire le mensonge, comment pérenniser cette pernicieuse comédie. Et nous avions peur de tout, de rien. On se racontait alors des histoires, pas pour nous rassurer mais, pour intensifier la peur. Cela faisait partie de la jouissance. Combien il était excitant d'avoir peur.
Quand les artistes n’étaient pas en train de cloner le vide, ils se mettaient au centre de leur onanisme. Dans la littérature, il n’y avait plus de virgule, plus de point ni de point-virgule. Pas de majuscule. Il y avait un tas de fragments sans aucune continuité. Des mots clairsemés, des sauts de pages, des sauts de lignes pour feindre un renouveau quand la ligne suivante ne faisait que répéter la précédente. Un mot en moins, un autre en plus. Changer de temps, changer le mode, la personne. Mais c’était la même chose, la même chose, un cercle sans fin, un cycle fataliste. Mais comment pouvions nous créer quand la tragédie était notre raison de mourir ? Comment pouvions-nous sortir de ce cercle infernal, cette machine infernale ? Nous n’y pensions pas, il n’y avait pas d’échappatoire. Il y avait le long corridor dans lequel nous avancions.  Comme une larme dénuée de sentiments qui chutait vers les fins fonds de la terre et de ses ténèbres...

Für Alina. 

Israphil ©.

vendredi 4 février 2011

Luxe & Solipsisme

- Wenceslas Néveil Blake:
J’ai parcouru la terre et les océans, seul, sans ne jamais bouger
Et là où j’étais, je savais que c’était là-bas que j’étais né

Sans ne jamais pouvoir trouver ma demeure
Il y avait partout la lune qui s’invitait dans mes nuits de solitude pour me chuchoter les histoires du monde
Et je pleurais.
C’était chaque nuit la marré dans mon âme qui faisait saigner mes yeux
Partout les relents de putréfaction chatoyaient mes entrailles océanes
Les dépôts des profondeurs humaines me noircissaient jusqu’à faire de moi l’humain 

Plus loin, les mêmes hommes, les mêmes costumes propres
Et je riais. Un rire saccadé que seuls les étrangers pouvaient entendre
On cru autrefois que l’océan noir s’alliait au diable
L’océan l’héberge mais ne s’y associe pas. Du moins pas toujours
Cela  me rappelait les histoires de la lune, noirâtre d’humanité
J’ai rencontré au cours de mes errements  plus de dépouilles que de meurtriers plus de moribonds que d’hommes bons
J’aimais voir la haine emplir le vide des carcasses animées
Mes yeux ont prit feux lorsque mon regard sur le monde s’est posé :
Des palais faits d’os s’élèvent au ciel
Des tapis de peau recouvrent les sols
Des bras d’enfants surgissent des jardins
Délicatement plantés. Leurs mains ouvertes
Parterre de fleurs sans vie
Des sols de dents polis luisant des sécrétions lacrymales et de l’humeur aqueuse
Des fruits sans chaire en abondance gisent sur les lits
Fruits sans chaire où s’entassent les mouches
Les mouches naissent des fruits sans chaire dont le sucre se répand et dégouline
La terre assoiffée absorbe le sang et des fontaines le recrachent, noir et visqueux
Luxe et solipsisme
Les palais des vivants
Sur les ruines on battit le spectacle
Pester contre les mendiants aux vêtements ternes pour qui le temps s’est arrêté
Ils gisent, clairsemés, dans les maisons et dans les baraquements et les rues parmi les déchets
Pollueurs !
Taches venues enlaidir le mensonge
Des poussières de vérité de la taille du monde qui finissent par remonter à la surface
Nous sommes là pour vous aider  acceptez nous nous sommes là pour vous aider-
(à emmurer votre existence jusqu’à l’assoupissement final.
L’engloutissement final
Ce monde est à  nous cette vie est à nous
Nous sommes propriétaires
Nous sommes prioritaires)
Les damnés cueillent la mort et sèment la mort.



Exilé de ce monde                                                            
Des cendres et des ruines je suis né      

Israphil ©.

mardi 25 janvier 2011

Caprice de mon âme


Downtown, Henri Cartier Bresson.
Quel mal étrange que celui qui me gagne
Une ombre avide s'empare des chambres de mon âme
Elle endosse et mon corps et mon cœur:
Costume abandonné dont la nonchalance s'en accapare

De vivant je n'ai plus que les mots
Puisque dans la tombe que je me suis creusée 
Mon Dieu, je me suis emprisonné !
Les maux s'enchainent et se succèdent
Sans rythme et sans poésie
Je n'ai plus ni rime ni harmonie, ni amour ni sympathie
Je brûle dans le profond océan de mes noirs sentiments
Ni cri ni rire, ni pleure ni soupire
Je laisse le poids de mon indifférence m'ensevelir
Je vole dans ma chute et je danse
Légèreté funeste je suis un flocon noir


Et pour accompagner ce crescendo
Un tumultueux silence dans lequel j'expire