jeudi 24 mars 2011

Les étrangers et la pluie sans nuage

Héros de la Tragédie Moderne - Partie 2 
Des voix cacophoniques prêchaient ce fatalisme. Nous renoncions à toute forme de rébellion (et donc à notre liberté). Certains pensaient avoir un esprit rebelle en criant dans des concerts ; en adoptant des vêtements parfois excentriques. Ils ne faisaient qu’étouffer encore plus les principes dont ils se prétendaient porte-paroles. Sans s’en rendre compte, ils étaient le chœur de cette tragédie moderne, et comblaient toujours plus son Paradoxe. Une poignée d’hommes, de femmes, d’enfants ont néanmoins résisté à ce tsunami puisque leur cœur était accroché au-delà des cieux : les étrangers. Ces vivants célestes n’ayant rien perdu de leur authenticité voyaient, savaient.
À peine notre égo flatté, il nous offrait continuellement des carcans ornés de pierres précieuses. Et chacun pensait être l’unique détenteur de cet enviable bijou. C’est ce qui faisait de nous des bêtes individuellement avilis.
Comme une boule de papier froissée prés d'une cheminé toute en flamme, je me consume lentement au rythme des létales crépitements. Bien que possible, la fuite face à ce fatale feu était inenvisageable. Le feu était sublime, obnubilant. La souffrance que causait cette incinération était bel et bien réelle. Néanmoins, je l’oubliais. Lorsque j’étais enivré par les ondulations voluptueuses et anesthésiantes de ces courbes en flammes, j’étais paralysé. Stérile. Il arrivait même de penser que la douleur provoquée par ce feu était partie. C’est dire l’inconscience…

L'homme qui marchait dans le ciel, Jean-Marie Denis
Au fil de notre sevrage, un détail nous interpella.
La matrice de cet âge ne nous nourrissait que d'un sein. Nous ingurgitions un liquide amer et visqueux. Et profane. Il froissait notre âme et la crispait. Mais un jour, alors que nous avalions notre perfide ration, nous vîmes une main, du moins, juste une ombre, cacher étrangement l'autre sein. C'est alors que nous avions compris une chose: bien que le Paradoxe sévisse, bizarrement, il ne créait en nous que la servitude. Ce qui nous semblait insensé puisque nous avions l’impression de porter le fardeau de notre univers, les tourments de toute une ère. La matrice refusait de reconnaitre l’existence de l’autre sein.  Il pouvait nous dévoiler nos propres contradictions et les siennes. Et, delà, éveiller en nous notre singularité. Nous nous mîmes donc à quêter la liberté: elle était partout. Une pluie sans nuage l'avait déversée dans les cavités de ce monde. Il fallait lever l’ancre pour la toucher...
Mes errements dans l’océan de mon âme, sur cette terre mouvante ; mes échanges avec la lune; avec les étrangers dont les pieds voguaient là, quand leur cœur goutait déjà à l’éternité ; tous, ont contribué à ma mort. À travers ce périple mortifère, vivifiant, je délaissais peu à peu les enclumes que mon cœur contenait, les ancres que mes passions m’imposaient. C’est alors que mon âme, auparavant cette feuille racorni, se voyait perdre chaque jour une ride. Elle prenait sa place dans mon corps, mon cœur, mon temps comme l’eau qui pénètre, doucement mais indubitablement, une rivière asséchée.
Ce regard froncé qui caractérisait mon dédain disparaissait peu à peu. Et en réalité, ce regard ne fut que le fruit d’une vue atrophiée à cause du rideau lourd et noir qui m’enrobait. Mon visage, comme celui de mon incommensurable troupeau, tendait vers le bas. Comme si le soleil noir l’avait fait fondre. Mais maintenant que la lumière est là, mon visage crispé laisse timidement les lueurs pénétrer les plis d’années de haine, d’angoisse, d’indifférentialisme.

samedi 19 mars 2011

Dualité du geste



Temptation, Wojciech (Voytek) Nowakowski.
Je ne suis pas un suicidaire, ni un déprimé.
Je ne suis même pas quelqu’un de sombre.
Je ne parle que d’obscurité, de solitude aussi, de cris étouffés par le silence, et de terre, de la terre, pour m’enterrer.
M’enterrer d’abord avec mes mots.
Je me noie dans mes turpitudes, mes souffrances.
Voilà pourquoi je suis mort.
Voilà pour quoi je vais mourir, et mourir, encore ;
et mourir.
Chacun de mes mots est un geste ultime, non dépourvu d’espoir,
Pour sortir la tête de la puanteur dont je m’habille, et qui m’habite
De l’océan sombre dont les algues me happent et m’agrippent comme un piton.
Pour sortir de la terre, humide et froide, et marcher ;
Fier ? peut-être
Chasser l’obscurité, chanter l’espoir…
Plus je me débats plus je suis pris
Plus je me noie

À F.

mercredi 9 mars 2011

Marche funeste


Marcher
Marcher tout le long
Marcher, sans songer à s'arrêter un jour
Aucune alternative marcher
Subir le monde
Subir le poids
Subir cet inextricable inéluctable mouvement qui rythme la hâte du souffle à s'arrêter
Finir
Tout tend à descendre
– retour aux origines –

La nuit recouvre le jour
Personne n'y peut rien
Personne n'y prête attention

Que me reste-t-il à faire ? Mourir
Mourir
Il m’a fallut toute une vie de mort pour arriver à mourir, pour–
vivre
Je vais mourir
C’est ainsi
D’autres sont tout de suite plus perspicaces pas moi
Pas moi
Je ne l’ai pas été j’étais mort
Je vais mourir
et c’est ainsi
Je ne me débats pas
Je suis heureux
Je suis tristement heureux
Vous ne comprenez pas ce qui se dit
– je ne dis rien, mais il y a des mots –
Peut-on comprendre ce que disent les morts ?
Peut-on seulement comprendre les mots qui coulent des yeux ?
Divins miroirs
Reflets d’autres mondes
l’autre Monde

Je semble…
hagard

Il n’en est rien
Il n’en est rien
Je suis conscient

Ma conscience m’occupe tellement que je semble vide
absent
– mort –