Accueil - Fragments de siècle...

Dans les rues polluées de mon siècle, j’ai vu des morts se presser et se bousculer pour se jeter dans les fosses luxueuses qui leur sont construites. Au bas des trottoirs, dans la rivière qui mène aux égouts,  ils laissent couler leurs larmes silencieusement, sans croire. Ils savent mais n'y croient pas. Flottent alors des « choses », sans formes, qu’on nommait dans certaines civilisations Conscience, Raison, Imagination, Foi ou Libre-Arbitre. On a gardé le contenant, mais le contenu est désormais délaissé…

Tout autours de moi des visages vidés d’expression déambulent, sans but. Paupières cousues. Les oreilles débordent de musiques sans son desquelles coulent un liquide pâteux et visqueux. Pour pleurer, le corps s’est adapté : les larmes parcourent tout le corps à la recherche d’une échappatoire. Elles se mélangent à la sueur pour se libérer par de violentes éruptions à travers les pores. Nous nous efforçons de croire que ce n'est que de la sueur, fruit du dur labeur; pour pouvoir se jeter dans la fosse, avec les autres.
Nous sommes trempés.
Jamais les parfums ne s’étaient aussi bien vendus. Dans les rues et les lieux publics des machines répandent des parfums pour masquer les odeurs amers et criardes. Personne ne veut – ne doit – être brusqué.
La télévision en couleur transmet des images d’un monde jonché d’une pléthore de couleurs, noires et blanches.
Les spectateurs sont éblouis par ces couleurs, on les pense colorées. Le soleil, le ciel et leurs nuances paraissent ternes.
Seule la lune garde ses couleurs. On tâche alors de noyer sa lumière dans celles des boites de nuit bâties sur des ruines de bibliothèques.
Les églises sont devenues des bordels ou des fillettes se tordent comme des vers pour oublier leur âge, et le faire oublier à tous les jouisseurs.

Ils déambulent et gesticulent.

Une musique nous chuchote sans cesse «  Tout va bien, tout va bien ».
Nous en sommes convaincus.
Notre vie est trop courte pour se préoccuper de ces détails. Il faut profiter.
On doit profiter.
C’est la loi.