mercredi 16 février 2011

Héros de la Tragédie Moderne


 Partie 1
À travers la littérature, à travers l’école, les arts, à travers la culture, nous n’avons connu que la tragédie. Il m’a été rapporté ces histoires d’hommes, de femmes, de jeunes, condamnés par le Destin ; abattus par la Fatalité. L’un aimait une femme qui en aimait un autre.  L’autre qui était condamné à tuer pour aimer la chaire de sa chaire. Il y avait aussi celui qui était prisonnier de ses insatiables passions, de femme en femme. Et puis d'autres encore...
Je me résignais moi-même à vivre leur vie. « À quoi bon lutter ? », me disais-je. J’embrassais alors le paradoxe de mon siècle : mon âme courbée comme si l’univers reposait sur elle. Et mon cœur indifférent. Une indifférence telle que j’élargissais mon pas pour franchir un cadavre, sans daigner le regarder : à quoi bon ? Il est mort. Et s’il ne l’était pas, il ne tardera pas. Et s’il tardait, je le sais, j’en avais la certitude: nous allons tous mourir. Il était donc tout de même mort, malgré lui. C’est ainsi... inéluctable... tragédie. Alors, alors nous jouissions comme aucune créature vivante ne pouvait jouir – non, l’humain n’était plus vivant, il avait tout d’une bête en décomposition, puante, en  putréfaction avant même la fin de son agonie – Jouir, comme un condamné à mort. Jouir, qu’importe comment, qu’importe avec qui, qu’importe avec quoi, qu’importe de penser... Rien n’importe. Nous allions mourir, nous jouissions. Implacable logique de notre indifférentialisme.
Nous avons été façonnés dans une position de fœtus. Après notre naissance, nous sommes restés tels quels, et nous avancions dans cette position, jusqu’au vieillissement où nous étions toujours recroquevillé : c’était la même position, mais les mots sont changés.

Sculpture en papier.
Dans les rues propres, tous étions fantômes. Des condamnés à mort dans le long corridor. Où je vais ? À ma mort certaine. Il y a une chose qu’on redoute alors, la solitude. Parfois face à face, à quelques centimètres les uns des autres, nous étions seuls. Seuls mais toujours accompagnés. C’est à ça que servent les nouvelles technologies, pour rien d’autre, rien; vraiment rien d’autre que nous sentir accompagnés dans notre solitude quand bien même cela intensifiait notre isolement. Certains le savaient, mais que le fatalisme était délicieux. Délicieux, car nous étions Antigone, Œdipe, délicieux car nous étions des héros, des antihéros mais il y a le mot « héros », cette seule partie du mot suffisait à notre égoïsme surdimensionné, cultivé comme un vieux fermier solitaire qui n’a d’yeux que pour ses plantations, à veiller sur elles, là, à leur chuchoter quelques mots, comme à ses femmes, comme à ses enfants. Délicieux, car c’était ça, le « Beau ». Nous étions des grecques. Nous nous appelions, Sisyphe, Médée, Roméo, Oreste.
Livides, accablés, recroquevillés, vides, nous trainions nonchalamment nos carcasses qui ne s’éveillaient que pour permettre la jouissance. Si nous travaillions, c’était pour ensuite jouir. Si nous étudiions, c’était pour apprendre à jouir. Nous étions les ennemies les uns des autres. L'école... L'école. C'était là que tout commençait (ou presque). Comment peut-on expliquer aujourd'hui cette haine que j'ai pour l'école, quand bien même j'étais assoiffé de savoir ? Nous y apprenions déjà le paradoxe. Comment laminer, écraser par milliers, par millions, pour que, en rentrant le soir, laisser sa place à une vieille dame dans le métro. On nous enseignait comment parfaire le mensonge, comment pérenniser cette pernicieuse comédie. Et nous avions peur de tout, de rien. On se racontait alors des histoires, pas pour nous rassurer mais, pour intensifier la peur. Cela faisait partie de la jouissance. Combien il était excitant d'avoir peur.
Quand les artistes n’étaient pas en train de cloner le vide, ils se mettaient au centre de leur onanisme. Dans la littérature, il n’y avait plus de virgule, plus de point ni de point-virgule. Pas de majuscule. Il y avait un tas de fragments sans aucune continuité. Des mots clairsemés, des sauts de pages, des sauts de lignes pour feindre un renouveau quand la ligne suivante ne faisait que répéter la précédente. Un mot en moins, un autre en plus. Changer de temps, changer le mode, la personne. Mais c’était la même chose, la même chose, un cercle sans fin, un cycle fataliste. Mais comment pouvions nous créer quand la tragédie était notre raison de mourir ? Comment pouvions-nous sortir de ce cercle infernal, cette machine infernale ? Nous n’y pensions pas, il n’y avait pas d’échappatoire. Il y avait le long corridor dans lequel nous avancions.  Comme une larme dénuée de sentiments qui chutait vers les fins fonds de la terre et de ses ténèbres...

Für Alina. 

Israphil ©.

1 commentaire:

  1. Magnifique somptueux Horriblement Profond! Un délice de lecture, Une rétrospection de sois, des sujets spectaculairement décrits, une obscurité éclatante! Un grand Bravo ... Bravo

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